
On a tous en tête l’image du parfait B-Boy « bad boy », en survêtement clinquant et baskets immaculées, portable en bandoulière, qui balance et s’agite de gauche à droite comme les bras de Jason… Ne fais pas le malin si tu ne saisis pas la référence… Car difficile de ne pas céder aux clichés quand on parle d’aficionados du rap.
Leur profil a suivi les variations du flow, pendant que le rap lui-même entrait dans les cadres du fourre-tout « musiques de rue ». En 10 ans, son public s'est élargi, a comme donné du grain aux classes d’âge supérieures ainsi qu'à la gente féminine. Mais, à vrai dire, les 25-30 ans résiste encore et toujours à l'envahisseur.
Cela dit, un paradoxe se détache du paysage ; à mesure que les publics se diversifient, le musique rap quitte la rue et succombe, à son tour mais bien après les autres, aux foudres de la distinction sociale et esthétique. De foncièrement populaire, destinée aux classes populaires, elle a viré à l’élitisme et perdu sa vertu sur la place du « marché ».
Alors que le grand public se tourne volontiers vers les têtes d’affiche comme Oxmo Puccino, le public branché préfère des rude boys tels que Tekitek et son crew, TTC.
"Salut… euh… écoute c’est vachement bien c’que tu fais … euuuuh… écoute, je t’ai écouté sur scène et je trouve que …"... C'est avec ce genre de réplique que Grems met la honte à "tous ceux qui sont dans la vibe (lève le doigt ?)", à tous ceux qui portent jean slim monté sur coupe des Beatles. Ils pensaient trouver la nouvelle star montante du rap de Versailles ou du 16e ? Ils trouvent au mieux une paire de Air Max qui a de quoi les renvoyer dans les cordes...
France. Années 90'. Le rappeur dessine les contours de sa musique avec les couleurs de son environnement, de son quartier et des gens qui le peuplent. Au même titre que le "yéyé" offrait dans les 60' une version parodique du rock anglo-saxon, le rap français est souvent réduit à une tentative maladroite de ressembler au grand frère US. Le conformisme se ressent dans la construction des morceaux : mêmes beats carrés, mêmes samples tape-à-l’oeil et un débit parlé-hurlé dépourvu de groove. A l’origine de cette uniformisation, l’apparition dans les années 90' d’un genre cloisonné, le "rap Skyrock". En fixant des critères stricts aux artistes souhaitant être diffusés, la radio "numéro 1 sur le rap" a imposé "son" hip-hop, en l’occurrence une musique adolescente dirigée vers un public blanc en mal d'émotions brutes.
Plus tard seulement, le rappeur décide de quitter ces endroits précaires, ces modèles d'exclusion pour aller représenter quelque chose, pour amplifier l'écho des gens qui le soutiennent. Après la réunion des énergies positives, il est temps pour l'homme de faire sa place, de s'élever au-dessus des autres. Au fantasme de la street credibility répond la volonté de crier la détresse des banlieues.
Finie, dès lors, l'idéologie du "grand frère". Le culte du caïd traverse les mers, puisqu'il doit beaucoup à l'imagerie "gangsta" américaine, mais s'arrête à la frontière du "périph"...
Le rejeton un peu turbulent se fait aujourd'hui enfin respecter hors les murs de sa prison. Les dogmes, les craintes et l'immobilisme créatif, présents chez tous, fondent peu à peu comme "haine" au soleil.
Les particularités du rap français résident évidemment dans le traitement de la langue française. Une forme de tradition chansonnière du maniement des mots.
Sa palette relève moins du discours politique que d'une faculté à puiser dans les registres musicaux primaires, les traditions musicales maghrébines, africaines, finalement pas si éloignées de la France.
Les "masses de granit" du rap font appel aux valeurs originelles du hip-hop soutenues par Afrika Bambaataa comme l’entraide, la solidarité, le combat face à l’adversité et, en même temps, à des valeurs qui leur sont complètement contraires...
Ce n’est pas tellement une question de priorité donnée à tel ou tel sujet de société que celle d’un traitement différencié des mêmes thématiques. Par exemple, le rapport à l’argent, tantôt présenté comme le diable sur terre, tantôt valorisé, flatté. Le rapport au quartier, à l’éducation, aux femmes ou à la religion est tout aussi ambivalent. C’est aussi pour cela que le public est hétérogène. Chacun peut y puiser selon ses propres repères, ses propres « visions de vie » d'après Oxmo Puccino.
OXMO PUCCINO
Sa palette relève moins du discours politique que d'une faculté à puiser dans les registres musicaux primaires, les traditions musicales maghrébines, africaines, finalement pas si éloignées de la France.
Les "masses de granit" du rap font appel aux valeurs originelles du hip-hop soutenues par Afrika Bambaataa comme l’entraide, la solidarité, le combat face à l’adversité et, en même temps, à des valeurs qui leur sont complètement contraires...
Ce n’est pas tellement une question de priorité donnée à tel ou tel sujet de société que celle d’un traitement différencié des mêmes thématiques. Par exemple, le rapport à l’argent, tantôt présenté comme le diable sur terre, tantôt valorisé, flatté. Le rapport au quartier, à l’éducation, aux femmes ou à la religion est tout aussi ambivalent. C’est aussi pour cela que le public est hétérogène. Chacun peut y puiser selon ses propres repères, ses propres « visions de vie » d'après Oxmo Puccino.
OXMO PUCCINO
"Black Jacques Brel" a vu le jour sous un "Soleil du Sud".
15 ans de carrière et 5 albums, ça laisse peu de temps pour une liaison régulière avec un pays qu'il quitte à sa naissance. Au Mali, il n'y retourne qu'une seule fois dans son enfance. Il lui faudra 25 ans pour y revenir. Il ressent depuis le besoin d'y aller au minimum deux fois par an. Oxmo a grandi dans le 19e arrondissement de Paris, loin des clichés du rappeur plein de rancoeur banlieusarde. C'est avec le Mali qu'il prend de la hauteur.
Depuis 2001, L'amour est mort définit sa trajectoire actuelle. A chaque rendez-vous, ce sont toujours des poèmes un peu plus aboutis qu'il nous délivre.
"Je parle des non-dits, du manque de communication, des rencontres sentimentales qui révolutionnent une vie."
"Je parle des non-dits, du manque de communication, des rencontres sentimentales qui révolutionnent une vie."
Pour Lipopette Bar, en 2006, Oxmo fait l'expérience de la collaboration géniale et de la révolution artistique. Sa collision avec le jazz propre sur lui le conduira à réapprendre le langage.
"Envahis d'images, de vidéos, de musiques de toutes sortes, nous ne sommes plus touchés. Je pense simplement que nous avons oublié de rêver, de s'imagine". Point de départ de son dernier album, L'Arme de Paix, sorti en mars 2009, et d'une envie de partager de nouvelles sensations, de donner à voir d'autres horizons. Sans artifice.

La gageure permanente pour Oxmo, c'est de donner le climat directement, de savoir montrer la vie une bonne fois pour toutes. C'est ainsi qu'Oxmo fait souffler un vent nouveau sur le rap.
Aujourd'hui, avec beaucoup moins de rancoeur à décharger, il réinterprète des sentiments qui le dépassaient autrefois, mais qu'il est parvenu à digérer en fixant la création autour de rencontres positives.
C'est en écoutant Brassens expliquer comment il s'était réapproprié le lexique argotique qu'Oxmo a eu le déclic : "J'ai appliqué sa technique et utilisé un vocabulaire du quotidien."
Aujourd'hui, avec beaucoup moins de rancoeur à décharger, il réinterprète des sentiments qui le dépassaient autrefois, mais qu'il est parvenu à digérer en fixant la création autour de rencontres positives.
C'est en écoutant Brassens expliquer comment il s'était réapproprié le lexique argotique qu'Oxmo a eu le déclic : "J'ai appliqué sa technique et utilisé un vocabulaire du quotidien."
Avec Oxmo, le rap s'échappe donc vers le jazz, la chanson française ou le hip-hop pour donner à ses textes une profondeur rare chez les rappeurs hexagonaux.
Ce qui nourrit sa plume, c'est moins la démarche citoyenne que la teneur poétique du quotidien. Y ajouter des messages sociaux contribuerait à l'alourdir. D'un autre côté, il est facile de dire que prendre le micro est d'emblée un acte engagé, quoi qu'on fasse. Derrière chaque rappeur, il y aussi des milliers de jeunes citoyens...
TEKITEK
Après un premier opus solo au virage pop mal rasé, Party de plaisir - produit par Gonzales et sorti en 2006, Tekitek remet ses sneakers et retrouve la street... Mes pelures sont plus belles que vos fruits !

On retrouve celui qui, dans un bon jour, peut humilier le panthéon du hip-hop français, par son espièglerie rageuse et son charisme fun. Écoutez pour cela les oeuvres de son collectif L'Atelier, ou les deux premiers albums de TTC.
Sur des instrus connues - Lil'Wayne, Jacno, DJ Mujava, Ratatat, ou mal-famées comme une obscure italo-disco, Tekitek balance un chant ciselé pour raconter son monde avec une justesse incroyable.
"Ce disque n’est pas un album à proprement parler, il regroupe des expériences, des envies". Bref, l'essence de la rap attitude : donner à voir son univers, avec le plus d'honnêteté possible.
Seul ou parfois épaulé par Cuizinier - également membre de TTC - pour honorer Les good guys, Joke - la dernière signature de Stunts, le versant hip-hop du label Institubes - ou encore le très suisse Genevan Heathen, Tekitek surfe sur des couplets, tantôt longs et fouillés, tantôt drôles et effrontés. Il fait du rap punchy et sans complexe, il décompresse l'Orange Mécanique à la mode de chez nous...

On retrouve intacte la novlangue oulipienne mise au point depuis une dizaine d'années par les MC's de TTC, comme une espèce de Dadas du rap français.
GREMS aka Supermicro
Avec Grems vient le temps des AirMax à air comprimé, des couplets qui pressent là où ça fait mal, des morceaux de fumigène coincés dans la bouche et dans le coeur...
Trash, vulgaire, porno, provo, myso, psycho, vicieux, racailleux, irrévérencieux, Grems, MC graffeur-designer, est un authentique freak.
Son AirMax, jeté au monde en 2006, fit l’effet d’un coup de savate dans le grand cirque du rap français.
Repéré au sein du collectif Hustla, il monte ensuite en gamme avec le label Deephop Panel, fonde le groupe Rouge à lèvres composé de lui même, Le 4Romain, KillerSounds, DJ Gero et Disiz la Peste, et sort dans la volée une musique appelée deepkho mélangeant rap et house à la manière du hip-house, avec des titres comme Gash ou Carte à puce. Grems aka Supermicro brosse alors ses canines.
Trash, vulgaire, porno, provo, myso, psycho, vicieux, racailleux, irrévérencieux, Grems, MC graffeur-designer, est un authentique freak.
Son AirMax, jeté au monde en 2006, fit l’effet d’un coup de savate dans le grand cirque du rap français.

Flow technique dégoulinant de punchlines sur beats barrés mais appliqués, lorgnant autant vers le boom bap, l’abstract ou l’électro, ce premier appel au viol de toute règle n'est déjà plus seulement un album de rap. C'est la communion d'une parole qui suinte la rage et d'un rythme qui déloge l'esprit.
Pute à frange fera grincer les dents de certaines, alors que les rappeurs parlent aux rappeurs via une TSF qui siffle une Pisse de flute.
Les mythos qui "parlent pour tchi" en prennent aussi pour leur grade tandis que les Chiennes de garde s’arracheront les cheveux au cri de "Casse ton boule"... On vous aura prévenu.
Grems règle ses comptes... Juste une manière peu commune de se faire des amis.
Enfin, le rap français dans tout ça, c'est la voix qui porte haut ce que chuchotent les bas-fonds, la mélodie du bonheur quand tout va mal, le soupir d'ennui quand chacun fait de son mieux, c'est l'envie de crier que le silence des petits est un tort.
Faut se le dire, le rap paie encore pour un crime qu'il n'a jamais commis. Un délit de mauvais goût alors qu'il n'y a pas genre plus segmentant que le rap...
A l'heure où les musiques cessent de se regarder en chiens de faïence, par la force des choses, le rap multiplie les racolages passifs, mais a au moins le mérite de se chercher des poux, quitte à se faire aider par une bande d'excités excitants.
Thanks to Stéphanie Molinero, Les publics du rap, enquête sociologique, Éditions L’Harmattan, 2009, 352 p.