lundi 8 février 2010

[Cinéma] Mr. Nobody : Chronique d’un film invisible

Le mercredi 13 janvier 2010 est sorti sur les écrans un film ; un film qui aura mis 13 ans à voir le jour. Et pourtant. Trois semaines plus tard, ce film a disparu des salles, alors que Le Petit Nicolas (sorti le 30/09/09), 2012 (11/11/09), Alvin et les Chipmunks 2 (23/10/09) ou encore Twilight 2 (18/11/09) se disputent encore l’affiche au Kinépolis.



Ce film, c’est Mr. Nobody, le dernier film de Jaco Van Dormael, réalisateur de Toto le Héros (1991) et du Huitième Jour (1995). Pourtant fort d’un budget de plus de 33 millions d’euros, épaulé par un casting international et assez prestigieux : Jared Leto (Lord Of War, Alexandre, Requiem For A Dream, American Psycho, etc.), Diane Kruger (Inglourious Basterds, Benjamin Gates, Goodbye Bafana, Joyeux Noël, Troie, etc.), Linh-Dan Pham (Pigalle la Nuit, Pars Vite et Reviens Tard, De Battre Mon Cœur s’est Arrêté, etc.), Rhys Ifan (Good Morning England, Elizabeth : l’Âge d’Or, Vanity Fair, Human Nature, etc.), etc., Mr. Nobody n’a pas franchement rencontré le succès en salle, ni le succès critique.




Pourtant bien parti lors de sa première semaine en salle, avec la 9e place au Box Office, il chute dès la deuxième semaine (13e place), pour disparaître du tableau dès la troisième semaine, la faute à une critique trop frileuse : Le Nouvel Observateur y voit « (…) une fiction en ramifications stériles, plombée par un scénario dont la construction en labyrinthe masque mal la pauvreté d'inspiration » là où « Le tarabiscotage de l’intrigue, le montage de bourrichon formaliste [qui] débouche en fait sur un semis de clichés sur une nappe à carreaux » irrite Libération, alors que Le Journal du Dimanche s’attriste que « Le chaleureux auteur de Toto le héros et du Huitième Jour se perd[e] malheureusement dans un thème de science-fiction trop grand pour lui ». De son côté, l'Inrockuptible Schtroumpf Grognon s’en donne à cœur joie : « Mais à courir douze lapins à la fois, Mr. Nobody en ressort froid et repoussant d’intelligibilité, visuellement très laid, cacophonie ultrabricolée ». On notera que le reproche général fait à Van Dormael, c’est celui d’avoir fait une œuvre trop aboutie, trop sérieuse, trop multiple dans ses lectures et dans ses thèmes. On comprend mieux alors pourquoi Mr. Nobody s’est lamentablement fait taclé par le Petit Nicolas à l’entrée du cinéma …



Pourtant, certains ont vu juste : Première vante un « voyage [qu’]on ferait mille fois les yeux fermés pour le vivre dans les moindres détails », où « Le spectateur ne peut que s'extasier devant cette vertigineuse odyssée humaine sublimée par une très belle photographie de Christophe Beaucarne », selon L’Ecran Fantastique, tandis que Chronic’Art tempère et note qu’ « il est toujours possible de lui reprocher sa tendance « shaker » : quelques miettes philosophiques (le libre choix de Descartes préféré au nécessitarisme de Spinoza), une bonne cuillerée d'effet papillon (pompage des théories du météorologue Edward Lorenz), et surtout un zeste de Michel Gondry qui avec son Eternal Sunshine Of The Spotless Mind avait déjà posé les bases d'un cinéma ayant le pouvoir de rendre la vie réversible. Et quand le spectateur-Minotaure s'épuise dans les dédales du film, montre du découragement devant ce labyrinthe narratif, Jaco Van Dormael sait le rattraper, le relancer. Mais au fond, qui a vraiment envie de trouver la sortie ? »

Car oui, le film peut paraître complexe, avec sa multiplicité d’histoires. Car le thème de base de toutes ces histoires, c’est le choix :



“As long as you don’t choose, everything remains possible”. Et “everything”, « tout », n’est pas « les deux ». En ne choisissant rien, on choisi tout. Mr. Nobody devient Mr. Everybody, car le film ne se veut pas un simple film sur l’Effet Papillon (même s’il y fait référence plusieurs fois), pour lequel une action A donne un résultat X, et une action B donnerait un résultat Y, ni un simple film sur des « et si ? ». Non, ici, le choix A ouvre sur d’autres choix a, b, c, et le choix B sur d’autres choix d, e, f. La logique binaire est brisée et l’on fait face à l’Infinité des Possibilités de vies. Deux parents, trois femmes, mais au final, peut-être plus de 6 vies défilent devant nos yeux, certaines brèves, certaines longues d'à peine une scène, d'autres qui nous tiennent en haleine tout au long des 2h20 de film.


Et le dur choix auquel Nemo doit faire face, bien plus lourd de conséquences qu’un simple éclair au chocolat ou un roulé, c’est celui-ci :



De ce seul choix découle tout le reste du film, et un patchwork de vies possibles. Et un patchwork n’est pas un éventail. Les vies ne sont pas exposées côte à côte, le film n’est pas linéaire. Les vies se mêlent, s’entrecroisent, fonctionnent par reflet ou par contradictions. Si, pour Stendhal, « un roman est un miroir que l’on promène le long d’une grande route », le film de Van Dormael est un diamant, qui nous présente plusieurs reflets, plusieurs facettes, de cette grande route, avec, toujours, omniprésent, le personnage central de Nemo Nobody. A noter que NEMO est une anagramme du mot grec EMON, (τὁ ἐμόν) signifiant « mon sort » : au fil du film, Nemo s’avérera être maître, créateur de son, ou plutôt de ses sorts. Car, sans révéler la clé finale de la pellicule, une bonne partie de Mr. Nobody est avant tout fantasmée, plutôt qu’être vécue. Alors, là où la critique y voit du cliché, j’y vois avant tout de la parodie de vie idéale comme sait très bien la produire l’esprit humain.


Jaco Van Dormael ne s’est pas limité dans l’écriture, s’en est donné à cœur joie et a perfectionné son scénario durant 7 ans, l’a doté de délicieux petits détails. Car Mr. Nobody est un film jusqu’au-boutiste. La flèche temporelle s’étale de la préhistoire (lors d’une courte scène de comparaison) à 2092, où Nemo Nobody, âgé de 118 ans et dernier des mortels dans un monde désormais immortel, relate son passé, ses passés, à un psychologue. On nous gratifie aussi de quelques scènes de Science Fiction, aux effets spéciaux étonnement bien fait, lors de la mise en image de l’histoire écrite par un des Nemo adolescents ; de dissertations internes du personnage ; de courts documentaires sur le temps, la dispersion, le sentiment amoureux, avec Nemo en présentateur-narrateur ; du dialogue intérieur d’un comateux (chose rare en cinéma) qui commente ce qui l'entoure, ce qu'il entend, ce qu'il ressent (et, sans en discuter ouvertement, ouvre le débat sur le traitement des patients en état végétatif) ; et même, raffinement ultime, d’une mythologie personnelle : la Vie avant la Vie, quand les "encore-non-nés" savent tout du monde, de la vie, et que les Anges de l’Oubli, avant la naissance, descendent poser un doigt sur les lèvres pour que cette science infuse soit oubliée, ou encore la Fin du Temps (qui n'est pas la Fin des Temps). C'est un conte philosophique, et aussi une ode à l'Imaginaire et aux pouvoirs de l'esprit.





Il n’y a pas à discuter, Mr. Nobody est un film soigné, minutieux, léché. En sont aussi la preuve les mouvements de caméra, les plans, et surtout l’usage des effets spéciaux. La technologie n’est pas au service du spectacle, mais de la technique ; elle permet de produire des plans séquences, certes artificiels, mais fichtrement étonnants, à l’image de cette scène où la caméra suit, de dos et légèrement à droite, Nemo, qui va se positionner devant la glace. Position classique de la caméra pour le moment, afin d’éviter, bien sûr, que celle-ci se reflète dans le miroir. Mais la caméra se meut à nouveau, et vient se positionner devant Nemo, lui tournant le dos, et filmant ainsi son reflet, sans pour autant que la caméra apparaisse à l’image. Alors qu’elle fait dos au personnage, on a pourtant son visage au premier plan, puisqu’elle filme le reflet. Puis Nemo se tourne et quitte la salle de bain, et la caméra, sans coupure, s’avance et le suit, comme si, cette fois-ci, elle n’était non plus en face de la glace à filmer le reflet, mais bien en face de Nemo lui-même.

Et le tout, comme pour parfaire une œuvre déjà complète, est allégrement saupoudré de chansons astucieusement choisies et placées : Where Is My Mind des Pixies, Mister Sandman des Chordettes, Everyday de Buddy Holly, Day Dream de Wallace Collection, et d’autres, y côtoient l’opéra ainsi que les compositions lyriques et un poil mystérieuses du regretté Pierre Van Dormael, frère du réalisateur.


C'est un film tiroir : on y trouve de tout. De tous les genres, de tous les tons (on s’émeut, on rigole, on empathie, on désapprouve, on apprend …), de toutes les époques … C’est un film complet. Oui, il peut être compliqué en apparence, oui, il peut être peu accessible pour un certain public lambda, mais on ne peut pas ne pas reconnaître le talent de la réflexion, de l’écriture, de la maîtrise, de la caméra … Mr. Nobody est en tout point louable.



Malheureusement, son destin semble tout tracé pour être le même que le merveilleux The Fountain, troisième film du prodige Darren Aronofsky (Pi, Requiem For A Dream, The Wrestler) : film inconnu d’une grande majorité faute de succès et malgré quelques menues récompenses lors de divers festivals, navet prétentieux pour certains, et chef d’œuvre culte pour une minorité d’admirateurs. Choisissez votre camp.



jeudi 4 février 2010

[Maieutikê] L'Histoire Sans Fin

Bastien. Un prénom qui, déjà, devrait éveiller quelques vagues souvenirs en vous … Non ? Et si je vous dis Falkor, Atreyu, Artax … ? L’Histoire Sans Fin, bien entendu !

Ce film a sans doute bercé l’enfance de la plupart d’entre nous, en nous embarquant dans sa folle aventure, à dos de dragon porte-bonheur. Réalisé par Wolfgang Petersen en 1984, ce n’est qu’une adaptation partielle d’un roman de l’auteur allemand Michael Ende publié en 1979. En effet, le film de 1984 ne traite que de la première partie du roman, tandis que sa suite de 1991, l’Histoire Sans Fin 2 : Un Nouveau Chapitre, s’inspire très légèrement de la seconde partie du roman, abandonnée par Petersen. Mais nous ne discuterons pas ici des problématiques de l’adaptation.




Histoire de vous rafraichir la mémoire, voici un rapide rappel :
- Bastien Balthazar Bux est un jeune garçon rêveur. Sa mère étant morte, et son père plutôt absent, il ne trouve le réconfort que dans les livres, tandis que dans le « monde extérieur », il multiplie les échecs scolaires et se fait maltraiter par une bande de jeunes garçons de son école.
- Afin de leur échapper, il se réfugie dans la librairie de Monsieur Coreander. Bastien se prend d’intérêt pour le livre que M. Coreander lit, et profite d’un moment d’inattention du libraire pour le voler et s’en aller.
- La lecture de ce livre le plongera dans l’univers merveilleux de Fantasia, rongé par de terribles maux : la Petite Impératrice qui gouverne ce monde est atteinte d’une maladie mortelle, étrangement liée à l’avancement du Néant, qui englouti et détruit Fantasia de jours en jours.
- Un héros, Atreyu, part donc en quête d’un moyen de sauver la Petite Impératrice.

Ca y est, ça vous revient ? Hé bien étudions ce film ensemble et disséquons nos souvenirs. En visionnant à nouveau ce film, d’un œil adulte cette fois, nous pouvons remarquer trois choses, trois thèmes : la première, et plus frappante, est que c’est un film clairement destiné aux enfants, et qu’un adulte revoyant le film pourra être légèrement déçu par certains aspects ; ensuite, que le film aborde toutes les étapes nécessaires et indispensables à la Quête Initiatique. Il en comporte aussi tous les personnages récurrents ; enfin, que le film, sous son apparente légèreté, traite du conflit entre Imagination/Fiction et Réalité et oppose ces deux mondes. Ce sont ces trois thèmes que je me propose d’aborder avec vous plus en détails dans cet article.


***

Premier élément, donc, et peut-être le plus choquant pour un public plus mature, c’est le public destiné : Petersen a clairement destiné son film aux enfants, au détriment d'un public plus adulte. Les personnages sont « comiques », et quand je dis ici comique, je parle d’un comique de classe primaire … C’est-à-dire qu’à notre âge, désormais, on sent qu’on devrait rire, mais on ne voit pas pourquoi. Les meilleurs représentants de ce comique agaçant sont le troll vagabond et sa chauve-souris narcoleptique, ainsi que le couple de gnome Engywook et sa femme Urgl.


Aussi, un enfant ne s’attachera que peu à la forme, mais uniquement au fond. De cette manière, on ressent que Petersen ne s’est pas ennuyé avec de grands mouvements de caméra et une mise en scène léchée. La réalisation est somme toute basique, et l’on se retrouve même parfois face à un manque total de transition et quelques abruptes coupures. Un manque de continuité dans le script, aussi. Par exemple, quand Atreyu est sauvé par Falcor le Dragon Porte Bonheur, celui-ci déclare qu’il a parcouru 9 891 miles sur les 10 000 que devait parcourir Atreyu pour atteindre l’Oracle Sudérien. Ce qui lui laisse encore 109 miles à faire, soit 175 kilomètres. Après une discussion avec le couple de gnome, il décide de partir tenter sa chance et passer le premier portail, et le voilà que, au plan suivant, semblant arriver à peine quelques secondes plus tard, Atreyu fait déjà face aux deux sphinx qui gardent le passage. Un détail, peut-être, pour certain, mais un détail tout de même encore plus grand que le trajet Lille-Amiens.

Alors, quand on revoit le film des années plus tard, on a du mal à retrouver ce charme qui nous a tant plu. Mais on le retrouve tout de même un peu, ne serait-ce que par les décors et les costumes, dans lesquels tout le budget a du passer ! On ne peut que noter la virtuosité des effets spéciaux pour l’époque, l’animation et l’expression de visages pourtant entièrement artificiels comme ceux du Mangeur de Pierre et de Falcor. Je m’étonne encore de ne pas avoir pleuré, dans mon jeune temps, face au visage du Mangeur de Pierre déprimé et ayant perdu tout goût de la vie, quand il relate comment il n’a pu sauver ses amis des gouffres du Néant, lorsque ceux-ci lui ont échappé des mains (« they look like big, good, strong hands, don’t they? I always thoughts that’s what they were […] the Nothing pulled them right out of my hands. I failed.»). Encore maintenant, cette scène m’attriste énormément. Et la scène où il décrit comment la belle région d’où il vient a disparu dans le Néant m’a toujours flanqué une frousse bleue. Une sorte de peur profonde, la peur de l’ennemi invisible, le Néant : « Near my home, there used to be a beautiful lake! But then… then it… it was gone. – Did the lake dry up? – No, it just wasn’t there anymore. Nothing was there anymore. Not even a dried-up lake. – A hole? – A hole would be something. No, it was Nothing! And it got bigger... and bigger! ». La peur enfantine du Néant, comme celle de l’Infini, joue sur le fait qu’un enfant, ni personne, ne peut se l’imaginer, se le représenter. Qu’est-ce que l’Infini ? Qu’est-ce que le Néant ? Des questions qui m’empêchaient de dormir la nuit, me filaient la peur au ventre, et laissaient mon esprit, habituellement si plein, désormais si vide, si vide de réponse. On peut réchapper au loup Gmork, car on le voit, car il existe, on peut donc s’en cacher, le cacher, le détruire, le nier. Mais que faire face à ce qui n’est pas ? Face à ce qu’on ne peut même pas imaginer ? On peut bannir de son esprit une image, une pensée ; pas un trou noir, pas Rien. Bref, l’Histoire Sans Fin en aura sûrement effrayé plus d’un.


Le film est aussi une Quête, la Quête d’Atreyu pour sauver la Petite Impératrice : un modèle maintes et maintes fois utilisé, en livre, film, jeu vidéo … Car c’est un schéma d’aventure classique, connu et apprécié des enfants. Ici, tout y est. Commençons par les personnages : Il y a le Héros, Atreyu, bien souvent à cheval ou avec un autre animal de compagnie, ici Artax, ou Falcor. Il y a l’adjuvant, celui qui aide le héros dans sa quête : On peut citer Falcor le Dragon Porte Bonheur qui apparaît toujours dans les moments les plus critiques, le médaillon AURYN qui le protège tout au long de l'aventure, la tortue Morla qui lui livre un indice de plus pour avancer dans sa quête, le couple de gnomes qui le soigne et lui délivre de précieuses informations sur ce qui l'attend … En face se trouve l’Opposant, l’ennemi, qui cherche à freiner le Héros dans sa quête : le principal ennemi est le Néant, mais il y a aussi le terrible loup Gmork, ou encore les Sphinx qui gardent l’entrée de l’Oracle Sudérien. Mais l'Objet de la Quête, quel est-il ? Trouver un remède qui sauvera la Petite Impératrice et Fantasia. La Quête est souvent initiée par quelqu’un (le destinateur), pour quelqu’un ou quelque chose (le destinataire). C’est le chambellan de l’Impératrice qui lance Atreyu en quête d’un remède pour la Petite Impératrice. Dans la réalité, chez Bastien, le schéma est à peu près similaire. Notre héros, c’est Bastien. L’adjuvant, c’est son Imagination. L’opposant, c’est la réalité, son père (« stop daydreaming, start facing your problems »), les trois voyous qui harcèlent Bastien. Sa quête ? Trouver son bonheur, être heureux. Le destinataire de la Quête, c’est avant tout Bastien lui-même. Celui qui l’a initié ? Le libraire, M. Coreander.

Le schéma narratif est lui aussi classique, et identique à celui que nous avons pu apprendre lors de nos plus jeunes années de français et de littérature : Situation initiale (Bastien dans la Réalité, ses problèmes à l’école, son père distant, les trois voyous qui l’agressent …), évènement perturbateur (son entrée dans la librairie de M. Coreander et la découverte du livre de l’Histoire Sans Fin), les aventures qui en découlent (la quête d’Atreyu), l’évènement réparateur (la prophécie émise par l’Oracle du Sud, qui ne se réalisera que plus tard, quand Bastien acceptera d’être le vrai héros de l’histoire) et la situation finale (le pays de Fantasia est sauvé, tous les habitants sont en vie).

Les aventures elles-mêmes sont prévisibles : la quête d’Atreyu est remplie de hauts et de bas. Les hauts : Il part en quête du remède et cavalcade de partout ; il est sauvé par Falcor ; il passe la porte des Sphinx et obtient la solution à sa quête ; il part en quête des limites de Fantasia. Les bas : son cheval Artax meurt ; il manque de mourir dans les Marais de la Désolation ; il est séparé de Falcor par le Néant et pense avoir échoué dans sa quête. Le tout est soigneusement disséminé le long du film, à un rythme relativement régulier de « haut – bas – haut – bas ».

Encore une fois, cette trop grande facilité plaît aux enfants, et irrite quelque peu le spectateur adulte.



Mais le plus important, et le plus intéressant dans tout ça, ce n’est pas forcément la Quête d’Atreyu, mais celle de Bastien. C’est cette opposition entre la Réalité et la Fiction. Bien qu’opposition ne soit pas forcément le bon mot, car, à l’image d’AURYN, la Réalité et la Fiction se mêlent, s’entrecroisent, et ne font qu’un. Le médaillon rappelle l’image de l’Infini, l’Infinité des possibilités de l’Imagination ; c’est aussi une adaptation du Yin et du Yang, le doré pour l’Imaginaire, le Vert pour la Réalité, et où un peu des deux se trouverait d’un côté comme de l’autre ; c’est aussi Ouroboros, le serpent/dragon qui se mord la queue, symbole de l’Eternité, de l’Infini, du cycle de la vie, mais aussi symbole de l’union de la terre (la Réalité) et du Ciel (l’Imaginaire) : sa forme de serpent le rattache à la terre, et le cercle symbolise le monde céleste. AURYN est sur la couverture du livre, ainsi qu’au cou d’Atreyu : à la fois dans la Réalité, ainsi que dans la Fiction.

La Réalité, qu’est-ce que c’est ? Pour Bastien, c’est le décès d’une mère, un père absent pour son travail, des échecs scolaires, des petites brutes qui le traumatisent. Une réalité de laquelle il s’échappe à travers les livres, mais vers laquelle son père l’attire à nouveau : « get your head down the clouds, keep both feet on the ground ». L’Imaginaire, qu’est-ce que c’est ? Une terre peuplée de créatures extraordinaires, des paysages magnifiques, des aventures palpitantes. Un échappatoire, un lieu où l’on peut être le Héros (« Your books are safe. You get to be Tarzan or Robinson Crusoe »), mais où, malheureusement, on ne reste pas assez longtemps (« but afterwards, you get to be a little boy again »). Mais cette fois-ci, c’est le libraire qui l’attire à nouveau vers l’Imaginaire, en lui parlant de l’Histoire Sans Fin. Nous avons donc deux mondes qui s’affrontent.

Bastien, malgré la promesse faite à son père de « stop daydreaming, start facing your problems », sèche les cours et se réfugie dans le grenier de son école où il entame la lecture du livre. Tout au long de l’histoire, des éléments nous permettent de distinguer un enchevêtrement des deux mondes : le film jongle régulièrement entre Atreyu et Bastien, nous montrant les réactions de Bastien selon ce qu’il se passe dans le livre. On le voit pleurer à la mort d’Artax, pousser un soupir de soulagement quand Falcor vient sauver Atreyu des griffes de Gmork, etc. Mais le parallèle se fait de plus en plus troublant quand Atreyu et Morla entendent Bastien pousser un cri de terreur, ou quand Atreyu, face au miroir qui révèle le moi profond de quiconque y regarde son reflet, y voit Bastien. Le petit garçon alors apeuré lance le livre loin de lui, mais après ce déni, il souhaitera plus tard être le « petit d’homme » qui devra rebaptiser la Petite Impératrice afin de la sauver. Mais quand cette responsabilité lui échoit, son courage lui fait à nouveau défaut, et il ne se décide que bien tard à assumer son vrai rôle.


Car L’Histoire Sans Fin est un « Livre dont Vous êtes le Héros », et fait appel à son lecteur. Imagination et Réalité ne font plus qu’un, et c’est réellement Bastien, l’enfant dans la réalité, qui sauvera Fantasia. La mise en abyme est d’ailleurs poussée encore plus loin, lorsque la Petite Impératrice semble impliquer, non pas seulement Bastien qui lit l’histoire, mais aussi le spectateur qui regarde Bastien lire l’histoire. La mise en abyme est double, et l’on se retrouve, nous aussi, derrière notre écran, impliqué dans l’histoire : « Just as he is sharing all your adventures, others are sharing his. They were with him when he hid from the boys in the bookstore; they were with him when he took the book with the AURYN symbol on the cover, in which he’s reading his own story right now ».

Par cette double mise en abyme, le réalisateur en appelle au spectateur, et lui fait prendre conscience qu’il est lui aussi concerné par ce qui se déroule dans le film : Fantasia est dévoré par le Néant. En d’autres termes, l’Imagination des Hommes disparaît peu à peu, comme nous l’explique Gmork, au cas où nous n’aurions pas encore compris : « [Fantasia] is the world of human fantasy! Every part, every creature is a piece of the dreams and hopes of Mankind. Therefore, it has no boundaries! – But why is Fantasia dying then?! – Because people have begun to lose their hopes and forget their dreams. So the Nothing grows stronger. – What is the Nothing? – It’s the emptiness that’s left ». Le Néant, c’est l’absence de fantaisie, c’est la réalité, morne et terne, c’est le père en costard-cravate gris et son verre de jus d’orange qui part au boulot avec son attaché-case ; ce sont les jeux vidéos que méprise le libraire (« the video arcade is down the street. Here we just sell small rectangular objects, they’re called books. They require a little effort on your part and make no b-b-b-b-beeps »). L’Histoire Sans Fin se veut une ode à l’Imaginaire, aux pouvoirs si puissants, que d’un grain de sable peut recréer un monde.


Car un grain de sable, c’est tout ce qu’il reste de Fantasia à la fin, et que la Petite Impératrice remet à Bastien pour qu'il en refasse un monde, plus grand encore, plus luxuriant. D’un grain de sable voir un monde, c’est ce en quoi croyait le poète William Blake (1757 - 1827) :

To see a world in a grain of sand,
And a heaven in a wild flower,

Hold infinity in the palm of your hand,
And Eternity in an hour.


Dans un grain de sable voir un monde,
Et dans chaque fleur des champs le Paradis,
Faire tenir l'infini dans la paume de la main,
Et l'Eternité dans une heure.



Et pourtant, à son époque, le pauvre homme était considéré comme fou …