mardi 30 mars 2010

[Music] Etienne Jaumet. Nom de code : Magicien d'Oz de l'électronique


Après son apparition à la Cave aux Poètes, transformée en aire d’autoroute interstellaire pour l’occasion, tandis que ses premiers camarades « réplicants » pénétraient dans le sas roubaisien, votre Hermès préféré est parvenu à étudier cet ovni aussi violent qu’un Big Bang, aussi brillant qu’une aurore boréale…

Étienne Jaumet est Monsieur Discret. Un artiste tranquille au look de nerd intello.

C'est aussi un multi-instrumentiste dont le nom est resté enfoui des années durant. Ses productions au sein du duo krautrock Zombie Zombie, qu’il forme avec Cosmic Neman, le batteur d’Herman Düne, puis dans le combo The Married Monk, ou encore ses collaborations avec Herman Düne en personne lui ont permis de gagner en notoriété. La vie d’Étienne Jaumet est naturellement concentrée en rencontres musicales.

"Dès 10-11 ans, j’étais fan de musique. J’écoutais The Cure, Joy Division, du punk aussi, comme mes copains. Et puis les émissions de Bernard Lenoir. La radio m’a ouvert des horizons : j’y ai découvert Oh Superman de Laurie Anderson, Kraftwerk, qui me faisait voyager. Je me passionnais pour les génériques de dessins animés : Ulysse 31, Chapi Chapo [signé François de Roubaix – prochaine victime de notre Maieutikê], les Dossiers de l’écran, San Ku Kaï. Tout cela m’a donné très tôt le goût pour la musique électronique…"


Son premier amour de jeunesse ? Le saxophone. Il joue même dans une harmonie municipale, avant finalement de rentrer au Conservatoire. "Mais je n’étais pas assez travailleur. Et le saxophone est devenu un instrument cliché des années 80, alors j’ai brusquement arrêté. Plus tard, je m’y suis remis, en écoutant du free jazz. Là, l’instrument était naïf, déchiré, pas du tout langoureux ou sexy comme dans le rock et la variété des eighties."

Après un bac S, Jaumet poursuit des études supérieures du son à l’école Louis-Lumière, en banlieue parisienne (sur les traces de Jacques Demy, Gaspard Noé ou Louis de Funès). "C’était un bon compromis car la vie de musicien est très aléatoire."
Dès 1995, il commence à sonoriser les autres. "Combien ? Un millier de groupes ! C’était le rêve ! J’ai pu travailler avec Daniel Johnston, Aphex Twin, The Moldy Peaches, Lou Barlow, Antipop Consortium… Je me souviens aussi de Moonshake, un groupe très marquant, avec des influences krautrock. C’est d’ailleurs à cette période que j’ai rencontré et sonorisé Herman Düne pour la première fois."

Dès son arrivée à Paris, à 21 ans, il arpente les rayons des disquaires de l’époque : Rough Trade, Danceteria, New Rose. Depuis les rives de la pop synthétique (New Order, Elli & Jacno, Etienne Daho, Mathématiques Modernes) et du rock expérimental de Sonic Youth, Mercury Rev ou Ride, Étienne Jaumet poursuit jusqu'au jazz, en commençant par John Coltrane et ses camarades, Elvin Jones, McCoy Tyner, Eric Dolphy. Enfin, Miles Davis, Pharoah Sanders, et de là, plongée ultime dans le free jazz.
De la musique ethnique à la musique concrète, du krautrock au new beat belge en passant par Silver Apples, Suicide, Telex ou D.A.F., sa soif auditive ne connaît pas de limites...en deçà du rythme binaire.

THE MACHINE MAN

Éternel adolescent, Étienne Jaumet se cherche encore, puis se découvre une orientation synthétique avec l’implantation en France, au milieu des années 90’, de Cash Converters. "J’y ai découvert les synthés analogiques, alors que tout ce matériel était en totale désuétude à l’époque. L’ouverture de ces magasins d’occasion a permis à certains de se débarrasser de leurs synthés et à d’autres, comme moi, de s’y initier."
À la recherche d’arrangements originaux, il remarque ces vieilles machines et se plonge dans leur univers. "J’aime ces machines, leurs boutons. Et aujourd’hui, je suis un inconditionnel… Dès que je branche un synthé, une boîte à rythmes, un effet, il y a toujours ce frisson qui me traverse en même temps que l’électricité parcourt la machine."

"Ce sont des outils très manuels et particulièrement intuitifs. Le geste crée le son. Je n’ai rien contre l’ordinateur, mais avec ce type de matériel, tu finis par faire la même musique que ton voisin. Pour moi, les synthés ont une âme, une âme analogique, du fait que les réglages ne peuvent être conservés, que le son dépend de ta façon de jouer, que les composants électroniques possèdent une certaine instabilité. C’est une chose vivante…"

Jaumet ne délaisse pas pour autant sa première conquête, et accompagne au saxophone Francisco Lopez, aka Flóp, sur trois albums et le seconde à Mains d’Œuvres, lieu de création artistique à Saint-Ouen. Le duo s’installe en résidence à partir de 2001, et c’est dans ce lieu, « où il y a beaucoup d’effervescence », que va se jouer son avenir : il y rencontre The Married Monk, formation pop alternative qu’il sert sur disque et sur scène ; y croise des chorégraphes pour qui il signe des musiques de spectacles ; devient ingénieur du son de la salle ; et surtout, partage son local de répétition avec Herman Düne…

"Un soir, tout le groupe était parti sauf Neman Cosmic, le batteur. Alors que j’improvisais sur mes claviers, il a commencé à jouer. Il y a eu une alchimie immédiate. Nous prenions beaucoup de plaisir à improviser ensemble, avec une approche très instinctive."
Dans la frénésie des premiers concerts parisiens, le couple se trouve un nom, Zombie Zombie, publie déjà un maxi très confidentiel sur le label Boomboomtchak avant que la magie des rencontres ne fasse le reste…
En l’an de grâce 2006, Gilb’R, patron du label Versatile, débarque au Point Éphémère pour assister au live de Joakim. Là, il tombe sur ces deux savants fous, programmés en warm-up. Étienne, lui, ne savait même pas de qui il s’agissait, ni de quoi il retournait – un "truc house, électro"…

Consécration ultime pour le petit monstre bicéphale devenu grand, le prestigieux disquaire indépendant Rough Trade sacre dans la foulée A Land for Renegades (Versatile/Nocturne) comme l’un des dix meilleurs albums de 2008. Premier album noir et fascinant, avec Goblin et John Carpenter en arrière-plan. Ses 11 morceaux sentent la sueur de l’improvisation et de la passion enfantine à triturer le moindre bouton. Les ambiances sont pesantes, les notes traînent comme des bruits dans la nuit, et surtout ça crie – When I scream you scream. Zombie Zombie rejoue ainsi la mélodie des berceuses adolescentes et raconte son meilleur cauchemar. "Ce qui est très important dans ZZ, confie Jaumet à Trax en mars 2008, c’est la pulsation, le rythme de la batterie qui nous emmène jusqu’à la transe"… Somnambulesque.



La réussite de ce premier essai pousse Jaumet à aller plus loin... Seulement, "Neman n’est pas tout le temps disponible, car il joue avant tout avec Herman Düne. C’est pourquoi j’ai commencé à composer des morceaux… Et en une après-midi, j’ai fait le morceau Repeat Again After Me, enregistrement et mixage compris. Je vais vite."

NIGHT MUSIC (Versatile/Module)


Pièce magistrale de musique psychédélique ou "mix dirigé et imaginé" par Carl Craig… Les qualificatifs s’accumulent et se conjuguent au mélioratif pour célébrer ce premier solo.
Le menu : cinq morceaux spatiaux, gazeux et narcotiques où sont convoqués saxophone, harpe et même une vielle à roue, sans oublier la voix éthérée d’Emmanuelle Parrenin, pionnière psyché folk des 70’. Le résultat : une rencontre au sommet entre les algorithmes synthétiques de Jaumet et le ballet mécanique proto-techno du producteur US.

Elle impose d’emblée une couleur, une identité, un caractère trempé dans les flaques d’automne 2007, lorsque grandissait le premier enfant légitime d’Étienne Jaumet. Baptisé Repeat Again After Me, le prototype s’appuyait déjà sur une longue odyssée future jazz hypnotique déroulant sereinement ses 13 minutes, avec phrasés plaintifs et boucles entêtantes.

L’illuminé y exprime toute sa tendresse, voire son fétichisme, pour la poésie naïve et les échafaudages alambiqués des sorciers électroniques allemands des années 70’. Comme pour coller à la tradition des albums planants de l’époque, Night Music s’ouvre sur For Falling Asleep, œuvre saisissante de beauté et d’intensité longue durée mêlant volutes analogiques, chœurs façon Gorecki pour 2001, Odyssée de l’espace et strates d’échos à la Terry Riley, avant de s’éteindre sur quelques frôlements de harpe. Elle n’est pas sans rappeler le prodigieux E2-E4 de Manuel Göttsching, produit une nuit de décembre 1981.
En face B, Étienne Jaumet enchaîne une série de vignettes tout aussi crépusculaires et hypnotiques, dont la sublime At The Crack Of Dawn sur laquelle il couche son saxophone dans un dernier cri d'orgasme.

Les partitions de Jaumet rappellent donc autant la musique électronique minimaliste, la kosmische musikAsh Ra Tempel dont Klaus Schulze fut membre, Popol Vuh et surtout Tangerine Dream – que le jazz, en mode free à la Pharoah Sanders, ou afro-futuriste comme Sun Ra. Night Music distille une "techno des sphères", une cosmic music qui renvoie directement à Landcruising (1995), masterpiece techno ambient de Carl Craig, génie de la seconde génération de Detroit.

Construites autour d’un spasme de boîte à rythmes – l’éternelle TR 808, les nappes vintage, les boucles de synthés et les complaintes acoustiques en forme d’incantation cosmique possèdent une rare puissance sur des esprits trop contents d'évacuer le réel pour rêver d’un monde en apesanteur.


Night Music est une œuvre d’esthète, sincère et intimiste, rétro mais contemporaine, frappée du don de la retenue et de l’hypnose. C’est là l’un des traits marquants d’une nouvelle génération de DJ’s qui, de l’agité Turzi en passant par l’équipe de Dirty Sound System ou les plus tranquilles Studio, signent le renouveau de l’analogique et du bricolage hippy à l’ère du numérique triomphant.

Night Music n’est alors pas destiné à briller de mille feux dans l’instant virtuel mais à durer dans le temps intersidéral, à l’abri des trous noirs de la mode.

"Je n’ai aucune explication sur le pourquoi de ma musique... En fait, tout ça n’est pas très sexy. Il n’y a pas de concept. La magie, c’est ce que les auditeurs comprennent, bien plus que ce que je crée…"

1 commentaire:

Choci Loni a dit…

Très bon disque. Par contre tout ce name dropping est indécent, même pour le fan de kraut que je suis.